Issue d'une longue lignée de musiciennes remontant au début du 19e siècle, Thérèse Brenet, née en 1935, était, dès l'âge de sept ans, capable d'accompagner au piano, sa mère lorsqu'elle chantait en public ! Dès cette époque, elle aimait improviser sur l'instrument à clavier et envisageait de devenir compositrice.

Après des études de piano, entre autres avec Marguerite Long, elle entre, en 1954, au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et y suivra les classes des prestigieux professeurs Jean Rivier, Darius Milhaud, Maurice Duruflé, Henri Dutilleux et Noël Gallon. Si elle reconnaît les qualités méconnues mais incontestables de l'œuvre de Maurice Duruflé ainsi que la remarquable pédagogie de Noël Gallon en contrepoint et fugue, ses regards se tournent surtout vers Darius Milhaud, puis Jean Rivier, qui lui apprirent en composition à oublier la rigueur excessive des classes d'écriture pour « ouvrir les fenêtres sur l'inconnu et sur le monde moderne » afin de trouver sa propre personnalité stylistique.

De cette époque date, entre autres, La Nuit de Maldoror dont le texte est tiré des Chants de Maldoror de Lautréamont. Cette œuvre a connu plusieurs versions instrumentales manuscrites, elle est en cours d'édition sous sa forme définitive pour soprano, violoncelle et piano. La partition en trois mouvements « lent, mystérieux fantastique », « allegro » et « très intense » commente le texte littéraire, mais tient compte de la prosodie tantôt chantée, tantôt récitée. Le langage, à tendance chromatique, frôle l'atonalité par ses agrégats pianistiques. Tous ces choix montrent déjà une forte personnalité.

Titulaire des premiers d'harmonie, de contrepoint, de fugue, Thérèse Brenet, poussée par Milhaud, se présente aux concours préliminaires du Grand Prix de Rome ; grâce à l'enseignement de Noël Gallon, elle réussit les trois rigoureuses fugues d'école. La dernière, celle de 1965, audacieuse, comporte deux sujets et deux contre-sujets ; « un certain souffle » lui est reconnu. En 1963, un premier essai pour la suprême récompense se solde par un Second Grand Prix pour sa cantate Hommes sur la terre, sur un texte de Robert Desnos. L'orchestre est rehaussé d'une imposante percussion. À l'humour parfois bachique du texte chanté, répond un commentaire instrumental anecdotique humoristique, preuve de l'adéquation de la compositrice à l'esprit de l'auteur. Un an plus tard, nouvelle déception avec Les Rois mages, sur un poème d'André Frénaud.

L'année 1965, non seulement elle décroche les suprêmes récompenses d'orchestration et de composition (première nommée à l'unanimité), mais elle y ajoute le Premier Grand Prix de Rome. Ses Visions prophétiques de Cassandre pour soprano, baryton et orchestre, sur un texte de Brasillach d'après l'œuvre d'Eschyle, comprennent deux batteries de percussion. Si l'écriture reste tonale, le chromatisme y est présent.

Avant de partir pour la capitale italienne, elle parvient à terminer, faire éditer et enregistrer le 9 décembre 1966, Clamavit, sa première grande œuvre personnelle, issue d'une commande de l'ORTF (organisme officiel de la radio). Il s'impose de s'attarder sur cette cantate nécessitant un chœur, une voix de soprano et un récitant, accompagnés par un grand orchestre. Le thème, emprunté à la Bible, Livre de Job, surprend. Une jeune compositrice, en pleine période de bonheur de par ses réussites, choisit de commenter une souffrance humaine à l'image de la souffrance du monde ! « Job personnifie la douleur de toute l'humanité, celle de chacun de nous, celle que nous portons tous, plus ou moins secrètement au fond de notre être et, en somme, celle de l'humanité toute entière à travers les âges », écrit-elle. Comment mettre en relief la clameur des paroles de Job aux images atroces, surréalistes ?

Mes chairs étant consumées,

Mes os se sont collés à ma peau,

Et il ne me reste que les lèvres autour des dents.

Ayez pitié, Ayez pitié de moi, vous du moins, mes amis,

Car la main du Seigneur m'a frappé.

Pourquoi me persécutez-vous comme Dieu me persécute

Et vous rassasiez-vous de ma chair ?

Comment ensuite trouver une transition pour la conclusion parce que la confiance en Dieu de Job ne faiblit pas ?

Je sais que mon Rédempteur est vivant

Je sais que je ressusciterai de la terre au dernier jour

Je sais que, dans ma chair, je verrai mon Dieu.

Thérèse Brenet avoue n'avoir pas hésité à remanier le texte littéraire pour trouver sa cohérence musicale : elle durcit, condense, souligne les contrastes pour arriver au cri (d'où le titre extrait du premier verset du Psaume De profundis ad te clamavi Domine) et faire un contraste saisissant à la fin. Sur le plan musical, grande variété des formules car le chœur répond en écho aux paroles du récitant, amplifiant ainsi l'aspect dramatique ; ailleurs, le groupe vocal - qui chante ou déclame - se mêle à l'orchestre, à d'autres moments l'ensemble vocal ou la récitante intervient sur des vocalises de la soliste, pour intensifier l'émotion. Même but dans le frappement régulier, inquiétant, du début de l'œuvre, repris dans la dernière partie avant d'aboutir à une lumineuse conclusion : « Mais, encore une fois, fidèle à l'esprit du texte biblique, j'avais voulu aussi que l'œuvre se terminât sur un élan d'espoir. Job lance vers Dieu un acte de foi, qui le conduit, peu à peu vers une sorte d'extase. Ses dernières paroles, murmurées, s'inscrivent sur une matière sonore extrêmement riche, faite d'une succession d'accords de douze sons, couvrant la quasi-totalité de l'échelle musicale et s'ouvrant en éventail. ElleS traduisent une indéfectible espérance. » Le succès mondial de cette partition exceptionnelle, sélectionnée pour représenter la France à la Tribune des Compositeurs de l'UNESCO, contraste avec l'absence de toute diffusion en France depuis sa création en 1967.

Un an après, la brillante lauréate, dans le cadre enchanteur de la Villa Médicis, découvre les splendeurs de l'art italien. Une fois de plus, dans ces conditions idylliques, son choix du sujet d'une nouvelle production importante, étonne. En effet, Thérèse Brenet, décide d'illustrer musicalement à la fois les fresques d'un peintre du 16e siècle, Signorelli, découvertes au cours d'une visite de la cathédrale d'Orvieto, et y mêle un poème de Pierre-Jean Jouve sur le même sujet : la Résurrection des Morts ! « J'ai voulu unir deux œuvres géniales abordant le même sujet à quelques siècles d'intervalle » ; cet amalgame d'un texte littéraire et d'un élément visuel, va donner naissance à une sorte de cantate d'une facture remarquable qui lui vaudra les compliments mérités du poète. L' Hommage à Signorelli nécessite une soprano, un piano, des ondes Martenot et deux percussions, un ensemble insolite, palette très personnelle. Dès l'abord, les pulsations du piano dans le grave, reprises par les percussions, sonnent l'heure irréelle d'un monde mystique angoissant que la soprano va décrire dans son chant monocorde aigu : « Je vois Les morts ressortant des ombres de leurs ombres Renaissant de leur matière furieuse et noire. » L'opposition entre l'évocation sobre et statique de la chanteuse et le cataclysme sonore allant crescendo correspond bien à une impression à la fois unique, étrange, chaotique. Comme pour laisser l'auditeur méditer, comme pour le laisser visualiser l'effroyable peinture, la compositrice décide, dans la deuxième partie, de ne pas faire intervenir la voix, afin de provoquer une impression d'étouffement. Après ce commentaire orchestral, le dernier volet de ce triptyque reprend un autre extrait du texte littéraire s'attardant – comme dans le tableau de Signorelli – sur la vision des corps qui surgissent du sol comme enfantés et purifiés par la Terre ; la musique par sa double ascension, du grave vers l'aigu, du faible au fort, traduit à merveille l'espérance de ce passage de la mort à la vie « Qu'ils naissent ! Comme ils sont forts, des chairs arméEs ! » Là encore, aucune rediffusion de cet enregistrement, commandé par la Biennale de Paris, après la création mondiale radiophonique, sur France Culture, le 9 décembre 1967.

Ces deux productions sublimes, ce diptyque, Clamavit et Hommage à Signorelli, dont la musicienne reconnaît une parenté de pensée « C'est aussi l'homme que vous retrouverez à travers toute sa souffrance », méritent de sortir de l'oubli car uniques dans la production française.

À l'issue de son séjour à la Villa Médicis, la compositrice effectue plusieurs voyages d'étude à l'étranger, notamment en Pologne, et, à son retour à Paris, en 1970, elle est nommée professeur au Conservatoire national supérieur de musique, classe abandonnée en 2000. Certes, sa vie professionnelle lui donne l'occasion d'écrire des œuvres pédagogiques ou pour les concours, mais, elle se consacre surtout à des compositions personnelles.

Plusieurs distinctions avaient, jusque-là, émaillé sa carrière : Prix Halfen de fugue et de composition, lauréate de la Fondation Coplay de Chicago, membre d'honneur de l'Académie nationale d'histoire de Reims, elle y ajoutera, en 1971, le prix Stéphane Chapelier – Clergue – Gabriel Marie, accordé par la SACEM, puis obtiendra la Médaille d'argent de la Ville de Paris (1973) et, plus tard (1988), sera récompensée, pour Vision flamboyante, par le jury musical des Droits de la femme.

Ici, il faut placer une œuvre de transition Six Pièces brèves pour orchestre (1968) car si le chromatisme domine, déjà on la voit ajouter deux tams-tams et, surtout, de brusques grands changements d'intensité et changements de tempo, le « extrêmement lent » succédant à un « très rapide et violent » ; nouvelles marques de sa créativité.

Au fil du temps ses intérêts varient et, comme une laborantine, Thérèse Brenet s'essaie à différentes expériences musicales. Ici, elle met en valeur un instrument, là, elle invente des échelles de sons, utilise les micro-intervalles ou l'atonalité et ne craint pas de demander des accords de douze sons, voire des clusters. Elle se plaît à reprendre les idées de polonais contemporains comme Penderecki ou Lutoslawski. De ce dernier, elle reprend la démarche de l' « aléatoire contrôlé » alliage de liberté et de rigueur pour l'interprète. Il est difficile de parler d'une évolution stylistique régulière mais, plutôt d'une recherche permanente. Toutefois, une idée directrice semble sous-tendre son inspiration. La base de la pensée musicale s'appuie sur la littérature, l'histoire, le monde gréco-romain, la mythologie ou le cosmos, preuve de la grande culture générale et de l'éclectisme de la compositrice qui, de ce fait, nous conduit à des sortes de poèmes symphoniques (sujets souvent à réflexion) pour diverses formations.

Sans avoir la prétention d'énumérer toute son importante production, il importe d'en parcourir une bonne partie car, malgré les nombreuses pages éditées, peu d'entre elles peuvent être entendues à l'heure actuelle. L'œuvre de Thérèse Brenet ne pouvant être rangée dans une classification traditionnelle, il s'impose de faire ressortir les grandes lignes directrices sur le plan musical.

L'une des constantes particulières à la compositrice, semble être la propension à écrire pour des instruments peu utilisés, par ses confrères comme la harpe celtique ou la mandoline, suite à sa rencontre de deux éminents musiciens, Denise Mégevand puis Christian Schneider.

La harpe celtique, aux possibilités très limitées - en raison du peu de cordes et de l'absence de pédales - par rapport à la grande harpe habituelle, la harpe celtique serait restée, sans Thérèse Brenet, un objet du folklore breton. Certes, la première œuvre écrite pour cet instrument avec hautbois ou flûte, Accordance, a été entendue sur « France-Musique en Bretagne, émission du 28 août 1982 », mais l'auteur se défend de références régionalistes. D'ailleurs, à la demande de Denise Mégevand, la même année une Suite fantasque, composée de six pièces, voit le jour, montrant bien les orientations de l'auteur. D'une part, l'œuvre est basée sur quelques paroles du Clair de lune de Paul Verlaine, donc alliance de la littérature et musique dans une œuvre instrumentale, et chaque partie est un commentaire d'une phrase du texte. La partition indique pour le début : « ... et quasi tristes », puis « ... sous un déguisement fantasque » ensuite « Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur ... » D'autre part, il est mentionné « Approche de la graphie contemporaine » d'où une page d'explications à l'interprète pour les signes qu'il rencontrera dans la partition, ainsi une flèche pointée vers le bas signifie « Pincer la corde et glisser immédiatement le long de celle-ci avec la batte du triangle. » Par ailleurs, l'instrumentiste se trouvera un moment devant trois cellules de quelques notes, avec libre permutation pendant 10 secondes, puis une autre, avec libre permutation de notes ! Inutile de dire que cette pièce n'a rien de traditionaliste. Même constat, toujours en cette année 1982, d'une mandoline associée à la harpe celtique dans Cristaux. En 1984, France-Musique diffusera Vibrations avec Denise Mégevand accompagnée par l'orchestre de Toulouse. Véritable concerto avec des solos, on y entend des tapis sonores et ondulations semblables à Thrène de Penderecki, avec aussi des passages angoissants, ce qui n'est pas le moindre paradoxe pour un instrument aussi scintillant que la harpe celtique. Il faut s'attarder sur Madrepore une très courte pièce pédagogique pour le « degré préparatoire » car l'auteur propose à l'élève une formule peu banale dans ce genre de partitions. Seize séquences, entourées une, deux ou trois fois selon le nombre d'exécution à faire, laissant l'interprète quasiment libre d'en choisir le parcours, «œuvre mouvante et protéiforme » où chaque cellule notée avec précision, comprend des indications d'interprétation. Notons, pour finir, les curieux mariages d'instruments ainsi dans Le Fascinateur la harpe celtique, avec une percussion, accompagne le récitant , dans un texte de Jean-Pierre Luminet, et, à noter plusieurs partitions pour harpe celtique, mandoline et guitare en particulier l'année 1997, Ophiucus II, Caprice d'une chatte anglaise II, Des grains de sable d'or aux mains II. Il existe aussi un concerto pour mandoline et orchestre à cordes intitulé Chimères (1993). Partir de frêles instruments populaires pour leur imposer une écriture moderne – la harpe sera réaccordée – et leur faire acquérir des lettres de noblesse, voici une belle manière de sortir des sentiers battus.

L'emploi du saxophone, fait aussi partie, à un moindre degré, de ce soucis d'innover. Tétrapyle pour quatuor de saxophone et piano (1978) a été écrit à la demande de Daniel Deffayet, suite à une commande du Ministère des affaires culturelles. Un tétrapyle étant un Arc de triomphe de la Grèce antique au point de jonction de quatre routes, l'auteur découpe son œuvre en quatre mouvements eux-mêmes divisés en quatre parties. La partition se veut moderne avec de successions d'intervalles de seconde, quarte augmentée, neuvième mineure et l'accompagnateur effectue des clusters de la paume de la main, du poing, de l'avant-bras. Certains passages sont laissés au libre arbitre des musiciens. Autre particularité, les variations brusques des intensités, d'où la violence de ces contrastes extrêmes.

Cette dernière caractéristique se retrouve dans Calligramme (1981) pour saxophone seul (alto et soprano successifs) en quatre mouvements d'une durée totale de seize minutes. Dès le début, les annotations de la partition « sauvage » avec des notes suraiguës stridentes, « comme des rugissements » provoqués par des sons multiples, de nouveaux passages resserrés et imprévisibles aux extrêmes de la puissance sonore, nous conduisent dans un monde hyper agressif. Sur le plan technique, le quart de ton, le « bisbigliando » normal ou en accélérant, le double trille, le « flatterzungue » et l'absence de tout travail thématique montrent le nouveau monde de la compositrice. Après ces onze minutes d'agressivité, la courte partition de Phoinix (1986) pour saxophone seul, offre une autre nouveauté par ses 22 séquences à exécuter presque selon le libre arbitre du musicien ; ainsi, « cette pièce est une œuvre mouvante et protéiforme qui révèlera différentes facettes à chaque exécution sans rien perdre de son identité quel que soit le parcours choisi », explique la compositrice. Enfin, Gémeaux I et II, deux quatuors de saxophones ou double quatuor par superposition, comme l'avait fait Darius Milhaud pour les cordes, mais ici parcourus par une succession de séquences aléatoires qui « constituent une étude des contrastes et de la progression dans les nuances, les accélérés et ralentis. » Une nouvelle fois, la recherche aboutit une solution inédite.

Plus rare encore dans l'histoire de la musique, le quatuor de tubas rassemblés dans Thrène (1983) ... et le quatuor de percussion de Ce que pensent les Etoiles (1980) inspiré par un poème !

Les poètes, justement, stimulent souvent l'imagination de Thérèse Brenet. Parfois le texte initial est absent de l'œuvre, d'autres fois il est chanté ou lu, enfin, de temps à autre, sa lecture est facultative. Souvent le sujet à un rapport avec l'univers stellaire. Sidérales cinq pièces d'orchestre, inspiré d'un texte de Lucrèce « Lorsque, levant la tête, nous contemplons les espaces célestes de ce vaste monde ... » ou Lyre d'Etoiles (1979) nocturne pour trio à cordes issu d'Amérique d'André Chénier, illustrent cette orientation. L'enchevêtrement si complexe et fantastique des astres, la notion d'éternité, deviendront une source de méditation de la compositrice. Mais ses sujets de méditation et les auteurs varient, montrant la diversité de la culture de la musicienne. Ici Sept poèmes chinois (1966) d'après Franz Toussaint, là Aube morte (1966) d'après les Chants de Maldoror de Lautréamont, ou Les Mains (1970) pour 12 voix et 12 instruments d'après Michèle Saint-Lô, donnent une idée de la variété de la littérature mise en œuvre. Ce besoin d'un appui du verbe va jusqu'à imaginer un titre curieux : Concerto pour un poème inconnu (1966) pour piano et orchestre ! En revanche, également pour piano, Océanides (1986) étude originale destinée à la main gauche, porte en épigraphe « le sourire innombrable des vagues marines » d'Eschyle, et Tout l'or des nuits, pour piano, à son titre repris dans Alcools de Guillaume Apollinaire. Ce dernier morceau, figure dans un recueil comprenant un disque compact avec l'exécution des œuvres, Sept Pièces contemporaines pour piano, volume 2, coll. H. Lemoine, 2002.

La conclusion naturelle de ce rapide panorama, provient d'un ensemble d'événements récents. La réédition d'un disque commercialisé, intitulé Odi et Amo, par les éditions De plein vent ; les quatre œuvres proposées sont d'une facture récente, entre 1990 et 1995 ; toutes font intervenir, en soliste, des instruments à cordes traditionnels de l'orchestre, le violon, l'alto et le violoncelle. Prémices de ces pages, Vision flamboyante (1987) pour violon et piano, avait été primée. Mais comment la compositrice va-t-elle concilier ses dernières conceptions esthétiques avec ces sonorités mêlées à un orchestre ? Nouvelle gageure.

Dans l'ordre des publications, 1991, correspond a Aeterno certamine pour alto, violoncelle et orchestre avec percussions. En plus de la lecture d'un ouvrage du poète latin Lucrèce, ouvrage anxieux axé sur « la lutte, l'agitation éternelle des atomes », la compositrice s'initie à l'astrophysique contemporaine dont une phrase retient son attention, la comparaison des grains de lumière fossiles avec les notes de musiques éparses d'où cet « hymne à l'univers, à ses beautés, à ses mystères. » ; par épisodes, la musique traduira les diverses dynamiques de l'espace interstellaire. La paisible introduction orchestrale, avec des interventions espacées des solistes, mène l'auditeur dans les halos des « musiques éphémères des étoiles naissantes et agonisantes » matérialisées par des micro-intervalles. La suite nous conduit à un climat dramatique, violent et dur, au sommet de l'ambitus de l'alto et du violoncelle, soutenus par l'orchestre. Après un nouvel épisode calme, où se superposent puis alternent deux motifs qui opposent solistes et masse, suit un paroxysme sonore, séquence aléatoire d'une grande violence, illustration d'un « maelström cosmique », selon l'expression de l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet, pris ici en référence. L'orchestre s'éloigne par plages, selon le principe de « séquences aléatoires à géométrie variable », en guise de conclusion.

Odi et amo, suite concertante en trois mouvements, pour violon et orchestre (1992) s'appuie sur un texte de Catulle. Dégagées par ces mots du poète latin « je hais et j'aime », les forces qui s'opposent concernent la tendresse et la violence Là encore, alternance de brusques et extrêmes intensités.

Poème pour violon et orchestre (1994) n'est basé sur aucun texte littéraire et n'est pas un concerto, quoique divisé en trois parties. L'idée générale est « une lente progression systématique, partant de la douceur tranquille initiale pour aller jusqu'à la violence et l'intensité dramatique poussée au paroxysme. » La fin, adossée au livre de G. Bachelard, Psychanalyse du Feu, exprime « l'amour, la mort et le feu unis dans un même instant. »

La pièce la plus récente (1995) Le Retour du Quetzalcoatl est un poème symphonique, en quatre parties, pour violoncelle et orchestre, commande de Dominique Fanal. Le mouvement initial s'attarde sur le site mexicain de Teotihuacan, théâtre d'une tragédie historico-mythologique, au 16e siècle, due à la rencontre d'une vieille civilisation avec son dieu « Serpent à plumes » et l'arrivée de Cortèz. Pour inviter à la rêverie cosmique suscitée par le lieu, l'alternance du soliste et de l'orchestre aboutit au suraigu ; puis, l'orgie sonore « paroxysme angoissant » correspond aux derniers sacrifices humains mais suggère aussi l'instabilité de l'univers, d'où un refus de conclure musicalement ce passage. De « L'arrivée triomphale de Cortèz » naît l'appréhension du peuple quant à son avenir due à « deux quiproquos tragiques qui se superposent » ; après une marche triomphale, la partie centrale de ce mouvement - qui ne comprend pas le violoncelle - aux impétueux élans lyriques, va succéder l'espérance et l'angoisse interrogatives. Enfin, l'empereur décide d'offrir à Cortèz la parure de plumes, insigne très symbolique de la divinité « c'est alors que commence un long mouvement ascensionnel, dans un tournoiement cosmique rythmé vers la fin par une intense pulsation. L'ambiguïté et l'inquiétude persistent inéluctablement jusqu'à la fin de l'œuvre. »

Cette phrase finale de Thérèse Brenet synthétise bien sa propre pensée. D'un abord souriant et amène, la compositrice paraît cacher une hypersensibilité et masquer une profonde inquiétude (et un espoir ?) dans le devenir de l'homme, traduit dès ses premières grandes œuvres, inquiétude élargie à l'humanité et au cosmos dans ses dernières partitions. L'auditeur sera constamment déstabilisé et interrogé par la recherche perpétuelle dans le choix des instruments inusités, des échelles de sons personnelles, des chromatismes, des quarts de tons, l'atonalité, des séquences aléatoires, mais aussi par l'absence de répétitions des phrases, de développements, le refus de conclure certaines œuvres, et des textes littéraires variés souvent philosophiques amenant à la réflexion. Les nombreuses explications écrites par la musicienne, dans et hors des partitions, lancent comme un cri de terreur quant à l'avenir – d'où les brusques segmentations du discours musical avec des nuances extrêmes surprenantes, des montées déchirantes dans l'ultime aigu – terreur symbolisée, dans les pages imprimées, par le grand nombre d'emploie du terme « violent » ou encore ces indications spécifiques d'expression comme « impression d'étouffement », « haletant », « hurlé », « paroxysme », « orgie sonore », « maëlstrom cosmique », « angoisse mystique » ...

Ainsi il existe des constantes qui personnalisent l'œuvre de la compositrice Thérèse Brenet.

Œuvres enregistrées : Pages concertantes pour violon, alto, violoncelle comprenant Odi et amo, Le Retour de Quetzalcoatl, Poème pour violon et orchestre, Aeterno certamine (CD FA 9501, Editions De plein vent – Frémaux et Associés, dist. Night & Day.

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